Là où la France maintient le secret, nos voisins italiens ont ouvert leurs pires cellules à un photojournaliste. Une situation indigne de nos démocraties.
« Si les prisons servent à mesurer l’état de la démocratie, alors, en Italie, la démocratie est en mauvais état. » C’est ce qu’écrivait l’auteur de « Gomorra », Roberto Saviano, dans « La Repubblica », en novembre 2015, devant ces photos.
Célèbre pour avoir dénoncé les crimes de la Mafia, vivant sous protection policière, il poursuivait néanmoins : « Il ne faut pas regarder ces images en pensant que ceux qui ont fait du mal doivent payer, on ne paie pas de cette façon. On ne paie pas en déféquant et en faisant la cuisine dans le même mètre carré. On ne paie pas en vivant sans eau chaude ni chauffage. On ne paie pas en perdant sa dignité. La prison est-elle faite pour les pauvres ? Oui, ces photos nous disent que la prison est faite pour les pauvres. La prison fait-elle les désespérés ? Oui, ces photos nous disent exactement cela : la prison fait les désespérés. »
Comme la prison parisienne de la Santé,à Lyon, désaffectées seulement en 2009, les bâtiments sont d’un autre siècle. Regina Coeli, un ancien couvent bâti en 1645, a été transformé en prison en 1881 ; Poggioreale a ouvert en 1914, et la construction d’Ucciardone remonte à 1807. Ce sont des mondes fermés implantés au cœur même de la cité. Depuis leurs cellules, où ils s’entassent jusqu’à six, les prisonniers entendent la rumeur de la ville. « A Rome, le quartier où se trouve Regina Coeli est l’équivalent de Châtelet-Les Halles à Paris, explique Valerio. A quelques mètres, les gens boivent du vin, font la fête. Les femmes viennent au pied des murs pour parler avec les détenus… Ça crie, ça s’interpelle. Ce contraste entre l’intérieur et l’extérieur est très impressionnant. Personne ne peut imaginer dans quel état est la prison pourtant si proche. »
En décembre 2011, cinq gardiens et un médecin de ce centre pénitentiaire ont été inculpés d’« abus de pouvoir et de violences privées sur des détenus ». Leurs cibles privilégiées : les prisonniers extracommunautaires, rarement en condition d’être défendus par un avocat ou par leur ambassade. Les victimes ont décrit les coups et les tortures qu’elles ont subis, comme des cigarettes écrasées sur le corps ou le supplice qui consistait à leur lier pieds et mains derrière le dos pour qu’ils s’étranglent à chaque mouvement. Un an plus tard, en janvier 2013, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamnait l’Etat italien à payer 100 000 euros d’indemnités à sept captifs ayant dénoncé ces conditions de détention. En tout, plus de 6 800 plaintes avaient été déposées.